Billetterie
Tryo
Scène du Chapiteau - 20h30
samedi 13 mai 2017
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Tryo – Vent debout
Les marins vous le confirmeront : naviguer vent debout n’est pas la situation la plus confortable, mais c’est là que l’on reconnaît les bons équipages. Si Vent debout n’est pas un album d’actualité, il est évidemment marqué par le contexte de son écriture et de sa réalisation. Et c’est certainement le plus intemporel des opus de Tryo.
Pourtant, il s’est passé quatre années d’une densité historique énorme – la gauche, les attentats, Nuit debout – au bout desquelles Tryo avait « plus envie d’observer que de donner des leçons », comme le résume Guizmo. « Une envie d’optimisme. » De chanson en chanson, on entend s’exprimer beaucoup d’élans, beaucoup de collectif, beaucoup de « on » qui ne sont pas là comme un substitut à la première ou à la troisième personne du singulier, mais pour faire
entendre une première personne du pluriel inclusive, ferme, généreuse. Christophe Mali reconnaît que c’est peut-être un « souchonisme », mais c’est surtout l’envie de « traiter des sujets graves avec un côté ensoleillé, enjoué, dansant. »
Chanter rappelle l’essentiel, d’ailleurs : « C’est là, c’est pas juste des chansons, c’est pour garder la foi / Pas perdre nos illusions / C’est comme ça, nous on en a besoin pour rester avec toi. Pour se sentir humain ». Cette chanson – et les douze autres – rappellent et condensent vingt ans de Tryo, mais s’inscrit aussi dans un moment particulier de notre histoire collective.
Quel album aurait-ce été si Tryo était resté au ras des émotions, des colères, des deuils et des cris accumulés depuis quelques saisons ? Ce n’est sans doute pas par hasard qu’instinctivement est revenu, sur l’essentiel de l’album, le reggae acoustique des débuts. Retour aux sources aussi pour le son des voix, avec beaucoup de chant à l’unisson – mais l’unisson si particulier de
Tryo. Les quatre garçons ont calé les voix dès les maquettes, avant de concevoir les arrangements des chansons pour les séances d’enregistrement réalisées avec le fidèle Dominique Ledudal. Et ceux-ci sont très légers : un tout petit peu de basse, une kalimba ou une flûte traversière qui passent fugitivement… Manu Eveno évoque « un retour aux sources de la musicalité de Tryo. »
Guizmo, Christophe Mali, Manu Eveno et Daniel Bravo ne se sont pas retrouvés avec un autre projet qu’aller à l’essentiel. Depuis la sortie de l’album Ladilafé, en 2012, le groupe avait enchaîné les tournées et les chantiers : deux ans de concerts en formule élargie puis une tournée en Allemagne, nouveau territoire à explorer dans la formule originelle du groupe, à quatre sur scène, ce qui avait donné l’envie de se passer de musiciens additionnels pour arpenter les festivals puis les scènes nationales, avant l’enregistrement de l’album de reprises Né quelque part. Belles aventures avant de longues vacances. « Quand on se quitte, on ne se donne pas de rendez-vous. C’est peut-être le secret pour rester vingt ans ensemble », note Christophe Mali.
Il n’y a donc pas d’échéance quand le groupe se retrouve en novembre 2015, après des projets personnels, du repos et de l’écriture, chacun dans son coin. Dès le départ, une évidence : il y aura un nouvel album parce que Tryo a une féroce envie de tourner à quatre. Mais il y a une exigence neuve : que personne n’ait le moindre doute sur aucune chanson. « Dans un groupe, on fait souvent des concessions, explique Guizmo. Mais là, nous avions envie que chaque titre nous plaise à tous, que l’on n’enregistre pas une seule chanson uniquement parce l’un de nous y tient beaucoup. Alors, pour la première fois depuis Grain de sable, peut-être, le choix a été collégial. » Manu Eveno confirme : « Nous avons élevé le degré d’exigence sur le sens et sur le texte, refusé ce qui était simpliste, manichéen, imprécis. » Daniel et lui n’écrivent pas mais ont passé toutes les chansons au double filtre de la gravité des thématiques et de l’énergie positive que veut incarner Tryo.
Christophe et Guizmo ont donc dû se convaincre mutuellement, mais aussi soumettre leurs compositions et leurs textes à l’avis des autres. C’est ainsi que, pour la première fois, les deux prolifiques auteurs-compositeurs de Tryo ont collaboré dans l’écriture de chansons, Christophe Mali cosignant les paroles de trois titres avec Guizmo, qui a aussi mis en musique deux de ses
textes.
Ainsi de la naissance de La Demoiselle, chanson née d’une envie de Guizmo de parler du handicap, sur laquelle travaille aussi Jérôme Briard, du duo le Pied de la Pompe, avec qui il partage des projets, et dans lequel Christophe Mali apporte un magnifique personnage de jeune femme vivante et solaire, à contresens des clichés. Ou quelques images poétiques venues tempérer la ferveur militante de Watson, portrait du combattant de la cause
océanique… 

À l’été 2016, pour la première fois, Tryo est parti en tournée avant la sortie de l’album. Celui-ci a été précédé par le dévoilement sur internet du clip de Soufflez, avec une apparition de l’ami Renaud et de grands drapeaux multicolores, que l’on retrouve désormais sur scène, dans un message universel, organique et ouvert. 

Plusieurs des chansons neuves ont été créées dans des festivals de dimensions que Tryo n’avait plus fréquentées depuis un moment. Cela a permis de voir que le public danse beaucoup sur Rassurez Finkielkraut et que les briquets sortent facilement sur Le Petit Prince – « j’y suis parfois de ma larme », avoue Guizmo, qui a mis en musique le texte bouleversant de Mali…
Les quatre de Tryo savent que cet album aura un chemin sur les radios avec certaines chansons et un autre chemin sur les réseaux sociaux et chez les fans – « un chemin plus engagé, plus rugueux », dit Christophe. Car ils ne confondent pas réconfort et tiédeur, consolation et murmure. Leur retour à l’essentiel est combatif, fervent, souriant, vif. Ce n’est pas seulement un sourire qui aide à dissiper les nuages, il est comme un cap tenu dans la tempête. Et surtout comme le sentiment qui saisit les équipages qui affrontent la grosse mer, vent debout – cela s’appelle fraternité.
Bertrand Dicale